A propos de ...
YASUZO MASUMURA

Biographie

Né en 1924, Yasuzo Masumura a d'abord étudié le droit, avant d'entrer à la Compagnie Daiei comme assistant. Il étudie ensuite la philosophie puis obtient une bourse du gouvernement italien en 1950 pour aller apprendre le cinéma au Centre expérimental cinématographique.
Assistant de Carmine Gallone sur Madame Butterfly (1953), il rentre ensuite au Japon où il devient l'assistant de Kenji Mizoguchi et Kon Ichikawa. En 1957, il signe son premier film, Un Baiser, suivi de Jeune fille sous le ciel bleu. En quelques longs métrages, il s'impose comme le précurseur de la "Nouvelle Vague" qui va bientôt déferler sur le cinéma japonais, avec en particulier Swastika (1964) et Nakano: école militaire (1966). Il lança la fameuse série Le Soldat yakuza avec Shintaro Katsu. La Femme de Seisaku (1965), L'Ange rouge (1966) et Tatouage (1966) marquent l'apogée de sa collaboration avec l'actrice Ayako Wakao, dont il dénigra le talent quelques années plus tard.
De son imposante filmographie, on retiendra aussi: Les Géants et les jouets (1958), Le Faux étudiant (1960), La Chatte japonaise (1966), La Bête aveugle (1969), d'après Rampo Edogawa, et Jeux dangereux (1971).

Source : http://www.etrangefestival.com/Dossier%20Real%20(Liens)/Masumura.html


Critique

Il est parfois utile de prendre une oeuvre par le détail, si tant est qu'elle offre suffisamment de cohérence pour qu'une telle démarche soit probante. Or, de cohérence, l'oeuvre de Yasuzo Masumura n'en manque pas. Ainsi, bien que les rétrospectives proposées à la Maison de la Culture du Japon et dans le cadre de l'Etrange festival ne permettent de ne voir qu'un cinquième de ses films, apparaissent déjà des récurrences, des obsessions - et leurs limites.
Soit Le Mari était là, de 1964. La première séquence montre Ayako Wakao, actrice fétiche de Masumura, sortant du bain. Elle est nue. Cette nudité est un motif récurrent mais qui, presque immédiatement, achoppe sur les conditions de sa représentation. En effet cette sorte d'érotisme, plus franc ou plus libre, est courant dans le cinéma japonais de cette époque, et Masumura, comme d'autres (tels Oshima, Yoshida et Imamura), le prend en charge.

Mais chez lui cette prise en charge reste une tentative, voire un échec. Il ne dépasse jamais les limites que la pudeur, et à n'en pas douter la censure, posent à cette nudité, alors qu'à l'évidence, la possibilité de pouvoir enfin la montrer et l'utiliser comme un élément pleinement significatif et revendicatif le travaille. Les cadrages de cette séquence en témoignent : pieds et mollets, vues de trois quarts dos, etc..., tous cadrages qui morcellent le corps, sans jamais dévoiler ni sexe ni seins, c'est-à-dire sans dévoiler les zones traditionnellement porteuses de cet érotisme. Il n'est pas le seul à cette époque à opérer ainsi sur le mode allusif. Mais ces cadrages révèlent aussi que pour Masumura ces zones-là sont les plus importantes.

Un tel découpage du corps est inopérant tant qu'il n'investit pas ce qu'il montre de la puissance de ce qu'il cache, et continue de rapporter le corps à une vision traditionnelle. Masumura reste ainsi entre deux eaux : d'une part, une volonté évidente de promouvoir un érotisme qui excède le mode allusif ; d'autre part, une incapacité à provoquer pour les dépasser les contraintes d'une censure cinématographique active, bien que plus permissive. Lorsqu'à la fin du film cette incertitude le pousse à amputer le cadre de sa partie gauche de peur de dévoiler un "excès" de nudité, tout son système représentatif est touché.

Il faut en effet parler de l'art du cadrage de Masumura, de son habileté à composer des plans complexes en jouant des dimensions du cinémascope. En usant de la profondeur de champ, d'à-plats géométriques, c'est-à-dire, bien souvent, d'objets et de cloisons à l'avant-plan, Masumura opère un recadrage incessant. Il s'octroie ainsi le luxe de n'utiliser parfois qu'une petite partie du champ, en opposant à une partie active (là où sont les personnages) une autre partie inactive bien que majoritaire (un écran noir, un élément de décor aux contours atténués, ou un visage : de toutes façons, un élément qui n'entre pas directement en cause dans le déroulement de la scène). Il se soustraie ainsi à l'arbitraire d'un format, comme à l'idée d'une sorte de productivité spectaculaire inhérente à ce format (voir plus large pour voir et sentir plus). Cette liberté-là est chez Masumura un système. Elle est le gain le plus évident de son cinéma. Mais ce gain est perdu lorsque la censure, dans le plan évoqué ci-dessus, devient un principe plus important que la justesse d'un cadrage ; ou lorsqu'elle l'oblige à s'enliser dans des métaphores boueuses (la fin grotesque et ridicule de La Bête aveugle).

Masumura est un cinéaste indécis. Son mérite le plus grand est d'ailleurs de ne pas s'en cacher. Ses films portent de manière flagrante la marque des duels entre les exigences formelles et les limites que lui-même ou l'industrie cinématographique japonaise leur opposent. A ce titre, la récurrence des mutilations et des amputations (dans La Femme de Seisaku, L'Ange rouge, La Bête aveugle par exemple) avouent son incapacité à aller jusqu'au bout de la représentation du corps et du désir.
Mais cette incertitude est peut-être aussi celle qu'il nourrit à l'égard du Japon. Cinéaste ayant fait ses classes en Italie, contempteur plus que corrosif des moeurs japonaises, du sort des femmes à la hiérarchisation sociale excessive, il ne s'est jamais émancipé néanmoins de la tutelle de la compagnie de cinéma Daiei, ni des consensus et des concessions qu'implique une telle dépendance. Masumura a ainsi bâti une oeuvre revendicative et pourtant à la limite de l'académisme. Il évolue dans un paradoxe constant : comment dénoncer, tout en acceptant de les subir, les contraintes et les absurdités du système japonais ?

De fait ses films les plus intéressants ne sont pas forcément les plus scandaleux. L'Ange rouge, La Femme de Seisaku, Le Mari était là, La Jeune fille sous le ciel bleu, s'ils attaquent l'armée, les communautés rurales, les cadres falots ou la pègre, le font avec suffisamment de nuance pour que naisse un sentiment qui excède la seule réalité japonaise et rejoigne l'idée d'une universalité du propos. Loin d'être les plus édulcorés, ces films développent un argumentaire critique convaincant. Au contraire, Le Soldat Yakuza, Svastika ou La Bête aveugle, à montrer de manière unilatérale les horreurs d'un processus de destruction (l'armée encore, ou des rapports amoureux et sexuels pour le moins fantaisistes) tournent au pensum.

Ces catégories en recouvrent deux autres. Dans la première, la narration alterne sans cesse les espaces, les personnages circulent d'un lieu à l'autre, cherchent leur contentement dans la reconnaissance d'un espace utile de plus en plus grand. La seconde est au contraire fondée sur la saturation d'un espace unique ou qui le devient. Les événements comme les formes d'occupation de cet espace s'y répétent jusqu'à se neutraliser. Que Masumura pêche dans ce registre n'est pas étonnant : car épuiser l'espace n'est-il pas se résoudre à considérer progressivement les corps de ses personnages comme seuls espaces réels (l'atelier de La Bête aveugle, qu'occupe l'immense statue d'un corps de femme, tend à le prouver) ? Ou bien à voir dans leur disparition ou leur transformation la seule issue possible (le triple suicide à la fin de Svastika) ? Deux figures qui, on l'a vu, ne conviennent pas à Masumura.

Les contradictions de Masumura se résument finalement en une "japonéité" dont il n'a vraisemblablement jamais su que faire. Si les espaces clos et obsessionnels sont les figures homothétiques de l'insularité, c'est lorsque son cinéma "voyage" qu'il prend une dimension conforme à ses ambitions. De même, la dénonciation n'est jamais plus efficace que lorsqu'elle alterne violence et accalmie : en d'autres termes, lorsque Masumura ne fait pas mine d'occulter via le ressentiment la dépendance qu'il troque son volontarisme contre un supplément de sérénité. Là, dans le nécessaire qui le lie au Japon. Il aurait donc fallu dl'agissent, était le salut de son cinéma. Mais Masumura, visiblement, n'a jamais su s'il ésir de dépasser les contradictions qui voulait se sauver.

Mathieu Capel - source: www.fluctuat.net