A
propos de ... YASUZO MASUMURA Biographie Né en 1924, Yasuzo Masumura a d'abord étudié le
droit, avant d'entrer à la Compagnie Daiei comme
assistant. Il étudie ensuite la philosophie puis obtient
une bourse du gouvernement italien en 1950 pour aller
apprendre le cinéma au Centre expérimental cinématographique.
Source : http://www.etrangefestival.com/Dossier%20Real%20(Liens)/Masumura.html Critique Il est parfois utile de prendre une oeuvre par le détail,
si tant est qu'elle offre suffisamment de cohérence pour
qu'une telle démarche soit probante. Or, de cohérence,
l'oeuvre de Yasuzo Masumura n'en manque pas. Ainsi, bien
que les rétrospectives proposées à la Maison de la
Culture du Japon et dans le cadre de l'Etrange festival
ne permettent de ne voir qu'un cinquième de ses films,
apparaissent déjà des récurrences, des obsessions - et
leurs limites. Mais chez lui cette prise en charge reste une tentative, voire un échec. Il ne dépasse jamais les limites que la pudeur, et à n'en pas douter la censure, posent à cette nudité, alors qu'à l'évidence, la possibilité de pouvoir enfin la montrer et l'utiliser comme un élément pleinement significatif et revendicatif le travaille. Les cadrages de cette séquence en témoignent : pieds et mollets, vues de trois quarts dos, etc..., tous cadrages qui morcellent le corps, sans jamais dévoiler ni sexe ni seins, c'est-à-dire sans dévoiler les zones traditionnellement porteuses de cet érotisme. Il n'est pas le seul à cette époque à opérer ainsi sur le mode allusif. Mais ces cadrages révèlent aussi que pour Masumura ces zones-là sont les plus importantes. Un tel découpage du corps est inopérant tant qu'il n'investit pas ce qu'il montre de la puissance de ce qu'il cache, et continue de rapporter le corps à une vision traditionnelle. Masumura reste ainsi entre deux eaux : d'une part, une volonté évidente de promouvoir un érotisme qui excède le mode allusif ; d'autre part, une incapacité à provoquer pour les dépasser les contraintes d'une censure cinématographique active, bien que plus permissive. Lorsqu'à la fin du film cette incertitude le pousse à amputer le cadre de sa partie gauche de peur de dévoiler un "excès" de nudité, tout son système représentatif est touché. Il faut en effet parler de l'art du cadrage de Masumura, de son habileté à composer des plans complexes en jouant des dimensions du cinémascope. En usant de la profondeur de champ, d'à-plats géométriques, c'est-à-dire, bien souvent, d'objets et de cloisons à l'avant-plan, Masumura opère un recadrage incessant. Il s'octroie ainsi le luxe de n'utiliser parfois qu'une petite partie du champ, en opposant à une partie active (là où sont les personnages) une autre partie inactive bien que majoritaire (un écran noir, un élément de décor aux contours atténués, ou un visage : de toutes façons, un élément qui n'entre pas directement en cause dans le déroulement de la scène). Il se soustraie ainsi à l'arbitraire d'un format, comme à l'idée d'une sorte de productivité spectaculaire inhérente à ce format (voir plus large pour voir et sentir plus). Cette liberté-là est chez Masumura un système. Elle est le gain le plus évident de son cinéma. Mais ce gain est perdu lorsque la censure, dans le plan évoqué ci-dessus, devient un principe plus important que la justesse d'un cadrage ; ou lorsqu'elle l'oblige à s'enliser dans des métaphores boueuses (la fin grotesque et ridicule de La Bête aveugle). Masumura est un cinéaste indécis. Son mérite le
plus grand est d'ailleurs de ne pas s'en cacher. Ses
films portent de manière flagrante la marque des duels
entre les exigences formelles et les limites que lui-même
ou l'industrie cinématographique japonaise leur
opposent. A ce titre, la récurrence des mutilations et
des amputations (dans La Femme de Seisaku, L'Ange
rouge, La Bête aveugle par exemple) avouent son
incapacité à aller jusqu'au bout de la représentation
du corps et du désir. De fait ses films les plus intéressants ne sont pas forcément les plus scandaleux. L'Ange rouge, La Femme de Seisaku, Le Mari était là, La Jeune fille sous le ciel bleu, s'ils attaquent l'armée, les communautés rurales, les cadres falots ou la pègre, le font avec suffisamment de nuance pour que naisse un sentiment qui excède la seule réalité japonaise et rejoigne l'idée d'une universalité du propos. Loin d'être les plus édulcorés, ces films développent un argumentaire critique convaincant. Au contraire, Le Soldat Yakuza, Svastika ou La Bête aveugle, à montrer de manière unilatérale les horreurs d'un processus de destruction (l'armée encore, ou des rapports amoureux et sexuels pour le moins fantaisistes) tournent au pensum. Ces catégories en recouvrent deux autres. Dans la première, la narration alterne sans cesse les espaces, les personnages circulent d'un lieu à l'autre, cherchent leur contentement dans la reconnaissance d'un espace utile de plus en plus grand. La seconde est au contraire fondée sur la saturation d'un espace unique ou qui le devient. Les événements comme les formes d'occupation de cet espace s'y répétent jusqu'à se neutraliser. Que Masumura pêche dans ce registre n'est pas étonnant : car épuiser l'espace n'est-il pas se résoudre à considérer progressivement les corps de ses personnages comme seuls espaces réels (l'atelier de La Bête aveugle, qu'occupe l'immense statue d'un corps de femme, tend à le prouver) ? Ou bien à voir dans leur disparition ou leur transformation la seule issue possible (le triple suicide à la fin de Svastika) ? Deux figures qui, on l'a vu, ne conviennent pas à Masumura. Les contradictions de Masumura se résument finalement en une "japonéité" dont il n'a vraisemblablement jamais su que faire. Si les espaces clos et obsessionnels sont les figures homothétiques de l'insularité, c'est lorsque son cinéma "voyage" qu'il prend une dimension conforme à ses ambitions. De même, la dénonciation n'est jamais plus efficace que lorsqu'elle alterne violence et accalmie : en d'autres termes, lorsque Masumura ne fait pas mine d'occulter via le ressentiment la dépendance qu'il troque son volontarisme contre un supplément de sérénité. Là, dans le nécessaire qui le lie au Japon. Il aurait donc fallu dl'agissent, était le salut de son cinéma. Mais Masumura, visiblement, n'a jamais su s'il ésir de dépasser les contradictions qui voulait se sauver. Mathieu Capel - source: www.fluctuat.net |